Après avoir tardivement veillé hier soir, je m’arrache tardivement de mon sommeil. Il est déjà 9h. Petit déjeuner. Préparation des sandwitches du jour et du lendemain.
Muni de mon sac à dos et d’une carte, je m’imprègne de la géographie des ruelles, des points d’intérêts, des points de passage. Petit à petit, Laura diffuse son inspiration et je trace sa dictée un long trait. Aujourd’hui, elle y met tout son talent, sa joie et sa bonne humeur comme si elle venait d’être libérée d’une longue rétention à subir des pointillés déjà tracé dans l’espace. Le programme sera donc un long zigzag striant la ville historique dans ses recoins les plus beaux.
Un zigzag qui, de fait, se retrouvera – telle une fractale – au niveau des mes traversées – nombreuses – de rues, de mes tours et petits détours ; au niveau des balancements, tours et flexions de mon corps.
Cela commença par las Bovedas, boutiques occupant d’anciennes pièces construites dans la muraille : casernes ou réserves d’eau ? Allez savoir. Puis je longe la muraille avant de m’enfoncer dans les coquettes ruelles, aux balcons feuillus et fleuris – enfin de la verdure en dehors de la place. Aux batisses multicolores. Là, je me dis que pour une fois, avec l’architecture et la verdure, le rendu est vraiment joli. Surtout pour un choix stylistique que je considère vraiment risqué : l’anarchie des couleurs aboutit souvent à un chaos brisant continuité et équilibre du paysage. Une rupture avec les canons de la beauté.
Je suis content d’observer, malgré la richesse qui inonde ces ruelles, l’absence de boutiques connues. Certe, le centre est gorgé d’auberges, d’hôtels, de restaurants, de boutiques de vêtements, de bijoux, d’artisans, mais il a su préserver ses ruelles de cette contamination. C’est également un lieu marqué par la culture, l’enseignement, le culte et la politique. Un endroit qui me surprend maintenant par ses deux restaurants français qui se succèdent : une brasserie au style parisien et une crêperie.
Je trouve l’Alliance Française pas très loin. Voilà donc la clef de l’énigme. Je me renseigne pour savoir, si par hasard, il n’y aurait pas besoin d’un professeur mais le responsable est absent. J’y repasserai deux jours plus tard.
Je me fais ensuite happé par le musée naval qui détaille l’histoire de la ville. Son passé pré-colombien. Je suis complétement absorbé par l’époque de la route d’or, la piraterie, les corsaires… L’histoire de la ville résonne sur fond de guerre entre royautés européenne. Même en survolant l’histoire moderne, j’y aurais grillé mon après-midi et me retrouve enfermé, seul, au moment où j’essaye de sortir. Il est étrange de se retrouver enfermer dans un bâtiment si grand et si vide.
Des bruits de travaux attirent mon attention. Je galère à en trouver l’origine. La zone en chantier est vide ! Finalement, je trouve trois ouvriers en train de poser du carrelage dans les toilettes de l’étage. Cela me permet de sortir sans avoir à utiliser le téléphone.
Je poursuis dorénavant ma visite dans une atmosphère de début de soirée. La place Narino, les bords de la rivière sont vivants. Des vieux jouent tranquillement aux échecs. Je me promets de revenir si à un moment le temps me le permet. Je traverse la Plaza Aduana peu de temps avant sa fermeture. Un grand banquet s’y prépare.
Et sous l’heure tardive, je tronque le trait. La ville historique basse ne me tente pas. Laura a eu sa journée. Je rentre. Il y a cours de danse ce soir.
Ici le récit s’interrompt momentanement. L’auteur est parti vivre un temps sa vie.
Ce soir, mon repas est prêt à l’emploi : la même recette que la veille qu’un bol conserve. Pourtant je passerai un temps formidable dans cette cuisine : toutes les plaques de cuisson sont prises ! Pas grave. Ici, je rencontre des américains, nombreux. Deux finlandais qui voyagent temporairement avec une partie de ces mêmes américains. ana. Une grande, en attendant. keep. Le finlandais veux ajouter à la Colombie, le Pérou, l’Équateur, l’Argentine, l’Afrique du Sud. Et compléter par le Mozambique puis la Russie si le temps lui permet. Le tout en seulement trois mois ! Il vient d’un paradis dont le nom s’est perdu dans mon esprit. Un paradis pour randonneurs, une île classée à l’UNESCO. Un(e) australien(ne) est également de passage après le Canada et les États-Unis. Il ou elle – mais pas eil – dit chercher un dépaysement que le Canada n’a pu lui fournir : trop d’australiens rodent en cette contrée. Vient de Pearl.
Je finis ma bière en cuisinant. Fichtre ! Rien pour le repas. Mon repas d’une assiette et demi est fin prêt quand commence le cours de danse. Fichtre ! Au programme : Bachata et Pinchata, une danse locale. Le cours commence par me surprendre avec des étirements tandis que j’engloutis mon repas avec une célérité qui en surprendrait beaucoup. Je me joins à la dans qui entâme les pas de base. Comme d’habitude ! Finalement il y aura essentiellement des pas de base en solo et le cours effleurera à peine, sur une musique, la danse en couple. Cela ne me surprend guère : la Bachata est un peu trop sensuelle pour des couples improvisés et non initiés. Cela ne me dérange guère : je n’arrivais jamais à assurer la base au Barrio et c’est seulement mon second cours. Et sûrement pas le dernier ! Cette danse est vraiment belle.
Puis vînt la Pinchata. Danse qui s’apparente à un cours de streching qui se serait approprié les canons de la sensualité et de la virilité. Troquer les étirements pour une demi orgie n’était pas la meilleure idée. Mon ventre me pèse. Face à la succession incessante de chorégraphies rapides, les participants abandonnent progressivement. Je m’obstine, commence à saisir suffisament le rythme pour suivre le prof. Si c’est continu par morceau, peut-on dire que c’est fluide dans l’ensemble ? La scéance s’achève avec cinq participants seulement.
J’en sors essouflé, assoiffé. L’adrénaline occulte une fatique que je sous-estime. Bref ma soif l’emportant largement, j’opte pour une grande bière. L’ambiance bar revient ; les cercles se referment, le flot des discussions reprend de plus belle. La mienne sera celle de la veille avec le colombien de Bogotá. On y aborde la géographie à l’échelle des régions avec leurs ressources, leur climat, leur économie, leur géopolitique. La discussion est intéressante mais devient difficile à suivre quand l’adrénaline redescent et relache cette fatique qui m’étreint.
Je ne vais pas le cacher : j’interromprais volontier cette discussion pour aller dormir. Seuls deux principes me maintiennent à flot : le refus de gaspiller donc jeter ma bière, et le refus de l’engloutir alors qu’il en reste la moitié quand cette pensée me traverse pour la première fois l’esprit. Je prends donc le parti de poursuivre tranquillement la discussion et la bière avant d’aller dormir. Je regrette ma gourmandise… à ce moment là de la soirée. À ce moment-là car la discussion est soudainement interrompue par une charmante jeune femme qui nous invite à danser sur le coup de minuit.
En sortant de la discussion, je prends conscience du changement radical d’ambiance. Il ne reste plus qu’un petit groupe de personnes en train de danser autour du bar. Essentiellement des Colombiensss. Nous voilà dans le cercle où trois filles essayent de chauffer l’ambiance et chauffant successivement filles et garçons. Et elles ont des arguments vraiment convainquants.
C’est un plaisir qui est interrompu alors que « the tango guy » allait nous régaler d’un beau spectable. Le bar ferme habituellement à minuit, cela n’aura été que du bonus ! Je m’éclipse pour des raisons techniques. La fatique ressurgit. Quand je reviens, le bar est plongé dans l’obscurité ; désert. Je regagne la cours centrale.
À droite, mon dortoir. À gauche, la sortie de l’auberge. Sortie ouverte sur des irréductibles qui vont en boîte.
Et toi, Néo, tu prends la pilule bleue ou la rouge. Allez, point de regret ! Souvient-toi de l’été dernier ! Je choisis donc de lever le voile sur la réputation de danseurs des Colombiens. Ce n’est point encore Cali. Je prendrais cela pour une initiation.
J’apprendrais les noms au fur et à mesure des jours : il y a Alexandra, Viviane, Claudia, Giselle, Carlos qui travaille à l’auberge, deux autres colombiens (l’un est peut-être Zack), un autre étranger qui maîtrise à moitié l’espagnol, une colombienne qui je verrais bien comme danseuse de flamenco, une autre.
À l’entrée de la boîte, alors que nous finissons nos bières, j’entends des français qui font la même chose avec de l’eau. Un lensois ! Ça fait du bien un peu de soft. Je ne les reverrais pas.
L’ambiance est vraiment sympa. Un groupe de musciciens interprète des classiques, hispaniques pour la plupart. Encore la version remixée de « Joe le taxi » ! Elle est vraiment insupportable, quoiqu’une partenaire arrive à me le faire oublier. Dès les premiers pas, je comprends que je peux laisser tomber ce que j’ai appris de salsa : tout le monde danse sur quatre temps ici. Point six. Point de place ! Quand au guidage, je dois parler un autre langage ; impossible de faire faire un simple tour en toute fluidité. Bah, du coup, c’est moi qui tourne. Et je tourne assez peu en vérité car mon groupe s’avère plus porté sur une danse que j’apparenterai au zouk. Autant dire que le chakra de la distance s’est ouvert dans une explosion de mouvements verticaux. La distance devient même un jeu, les figures de salsa des étincellles que je saupoudre avec parcimonie. Je ne sais pas ce que je danse, à peine avec qui. Je n’ai juste que la musique comme filin. Quoi de mieux pour être ancré dans le présent et lui arraché le bonheur sans savoir ce que nous réserve demain. Un demain dont le plan n’est alors qu’une blanche page de toutes façons. Étrangement, le premier chakra en peau de troll aura été plus dur à ouvrir cette fois.
Tiens une Bachata. Je réussis enfin à la danser et tente enfin avec succès un jeu avec les avant-bras qui m’avaient fasciné au Barrio.
La boîte ferme et je n’ajouterai que ceci : c’est au cœur de la nuit que coula une encre qui dessina les petits grains blancs du lendemain. La page n’est plus vierge.